La Cène de
Léonard de Vinci
Lorsqu’il
a peint la Cène, Léonard de Vinci a-t-il
représenté Marie-Madeleine à côté de
Jésus ?
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Autel de l'église du Sacré Coeur à Lille |
Tout
le laisse penser !
Il
n’y a qu’à considérer La Cène
de Léonard de Vinci pour se convaincre que c’est bien
une femme qui est représentée à côté de
Jésus. La finesse des traits, la douceur du visage, ne trompent
pas.
Les historiens de l’Art expliquent l’anomalie de la Cène
de de Vinci par le biais de l’homosexualité de ce dernier.
Selon cette interprétation, l’artiste se serait inconsciemment
(ou non) projeté en Jésus tandis qu’il identifiait
de la même manière Jean à son amant.
Cette
opinion, bien antérieure aux différentes tentatives
de démystification du roman de Dan Brown, n’est pourtant
pas recevable. Ce que cette lecture omet en effet de préciser
c’est que De Vinci n’est pas le seul à avoir représenté Jean
de cette façon. S’inscrivant dans une véritable
tradition iconographique, l’anomalie qu’il figure dans
son œuvre ne peut être considérée comme
une projection personnelle.
En
effet, j’ai retrouvé au cours de mes recherches un
nombre très important de représentations de Jean ayant
la même caractéristique. Il s’agit de vitraux,
de tableaux, ou de statues, se trouvant en diverses chapelles, églises
ou cathédrales de France. Leur nombre relativement élevé,
leur répartition temporelle et géographique disparates,
le nombre d’artistes impliqués, interdit de penser qu’il
y ait là une tradition occulte impliquant une lignée
d’initiés. Je parlerais donc plutôt d’une
tradition iconographique.
Comment expliquer celle-ci ?
Pour
la comprendre, il faut revenir à la source littéraire
d’où dérivent toutes les représentations
de la Cène : l’Evangile de Jean. Au verset 23 du chapitre
XIII, Jean consigne en effet, évoquant le dernier repas : «Un
des disciples, celui que Jésus aimait, était couché sur
le sein de Jésus.»
Cette figure du disciple que Jésus aimait, anonyme dans le
texte, a été identifiée par les théologiens à Jean.
Or, cette identification est complètement artificielle. Les
exégèses historiques les plus récentes réfutent
catégoriquement cette identification jugée tout à fait
improbable. De fait, hormis dans les dernières lignes du texte
(XXI, 24-25) ? dont on sait pertinemment qu’elles ont été ajoutées
tardivement ? l’Evangile de Jean n’identifie jamais ce
disciple à Jean.
Ce
silence pose évidemment la question de l’identité réelle
de ce disciple. Les exégètes ne sont pas tous d’accord à ce
sujet. On distingue deux courants majoritaires parmi ceux qui contestent
l’identification à Jean : ceux qui voient dans la figure
du disciple bien aimé une image du disciple «parfait» et
ne lui attribue aucune réalité historique, et ceux
qui pensent qu’il s’agit de Lazare.
Dans
ce débat universitaire, l’idée qu’il
puisse s’agir de Marie-Madeleine n’a jamais été évoquée.
Or, cela semble pourtant l’idée la plus probante. En
effet tous les arguments utilisés pour défendre l’identification à Lazare
sont applicables à Marie-Madeleine. En 1961, K. A. Eckhardt,
souligne par exemple que Lazare est le seul personnage évangélique
dont «il soit dit expressément qu’il est aimé de
Jésus». Or Eckhardt se réfère ici à Jean
XI, 5 : «…Jésus aimait Marthe, et sa sœur,
et Lazare.», un passage concernant Lazare mais aussi Marthe
et Marie.
Si
les arguments identifiant le disciple bien aimé à Lazare
sont peu nombreux et tous directement applicables à Madeleine,
les parallèles que l’on peut dresser entre la figure
du disciple en question et celle de Madeleine sont par contre très
nombreux.
A commencer
par l’expression le «disciple que Jésus
aimait». S’il est effectivement dit que Jésus
aimait Lazare, l’expression semble plus particulièrement
appropriée pour désigner Madeleine, dont il est dit,
dans l’Evangile de Philippe, que Jésus «l’aimait
plus que tous ses disciples».
Ensuite
l’étude du texte de Jean, qui va également
dans ce sens. Jean, en XIX, 25, écrit : «Or près
de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur
de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie de Magdala. Jésus
donc voyant sa mère, et se tenant près d’elle,
le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : “Femme,
voici ton fils”». Dans la première phrase, trois
femmes sont mentionnées : Marie, mère de Jésus
; Marie de Clopas ; et Marie de Magdala. Or la seconde phrase commence
ainsi : «Jésus donc voyant sa mère, et se tenant
près d’elle, le disciple qu’il aimait…».
Le «donc» implique que cette seconde phrase est déduite
de la première. Ce qui veut dire que le «disciple que
Jésus aimait» est, nécessairement, une des deux
Marie accompagnant la mère de Jésus. Une analyse textuelle
de ce passage suffit donc à démontrer que le «disciple
que Jésus aimait» n’est autre que Marie-Madeleine
elle-même.
Enfin,
la comparaison des deux figures (celles de Marie-Madeleine et du
disciple bien aimé) est une autre confirmation de l’hypothèse
que je formule. Ainsi, par exemple, l’Evangile de Jean témoigne-t-il
d’une rivalité constante entre le disciple bien aimé et
Pierre qui n’est pas sans rappeler celle qui, dans les évangiles
gnostiques, oppose Marie-Madeleine à Pierre.
Cette évolution,
que je pense avoir démontrée,
du sens de l’expression «le disciple que Jésus
aimait» permet de comprendre l’existence de Cène
telle que celle peinte par De Vinci.
Leur genèse s’expliquerait de la sorte : originellement,
les représentations de la Cène, conformément
au sens donné à l’expression «le disciple
que Jésus aimait» au moment de leur réalisation,
figuraient Jésus et Marie-Madeleine. Puis vint le moment
où,
afin de minimiser l’importance de Marie-Madeleine dans la
vie du Christ, la figure du «disciple bien aimé» fut
artificieusement associée à Jean. Les artistes qui
réalisèrent dès lors leurs œuvres à partir
du texte évangélique figurèrent un homme à côté du
Christ. Mais certains, sans doute, prirent pour modèle des
représentations antérieures où Madeleine et
non Jean occupait la place du «disciple bien aimé».
Ils se trouvèrent face à des représentations
qui ne cadraient pas avec la nouvelle vérité imposée
par l’Eglise. Pour expliquer ce «mystère» naquit
la fable, improbable, de la féminité de Jean consécutive à sa
virginité… Aussi insolite qu’elle soit, c’est
grâce à cette fable que s’est perpétué le
modèle primitif de la Cène, et qu’une véritable
tradition iconographique, dont De Vinci n’est qu’un
des multiples représentants, a pu s’instaurer…
Si
l’on s’en fie à l’hypothèse que
j’expose ici, c’est donc bien Marie-Madeleine qui est
représentée à côté de Jésus
sur la Cène de De Vinci. Par contre, cela n’implique à aucun
moment que De Vinci ait eu connaissance d’un quelconque secret,
ou ait été animé de la volonté de transmettre
celui-ci…
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