La sortie des ermites d'Espéraza
Entretien avec deux fécos


Les ermites d'Espéraza
Les ermites d'Espéraza


Le carnaval de Limoux jouit d’une grande renommée dans la région, mais à quelques kilomètres de là, une autre coutume revêt une importance toute aussi particulière. Il s’agit de la sortie des ermites d’Espéraza.

Afin de nous éclairer sur cette ancienne tradition, nous avons tenu à rencontrer ces hommes, qui depuis de nombreuses années perpétuent cette grande journée de fête. Messieurs Denis Linares et Louis Barrière ont pris le temps de nous recevoir et de répondre à nos questions. Nous les remercions vivement pour leur accueil chaleureux… Président de ce comité depuis 1985, M. Barrière a reprit le flambeau de son père, Jules René. Il a fait renaître cette tradition, qui menaçait de s’éteindre.


Parlez-nous tout d’abord un peu d’Espéraza…

A l’époque, à Espéraza, les industries étaient développées, on ne comptait pas moins d’une quinzaine d’usines à chapeaux. Bon nombre d’ouvriers venaient des villes et villages voisins travailler dans ces chapelleries. Espéraza était une ville riche. Malheureusement les temps ont changé. Il y a quinze ans les dernières cheminées de ces usines ont été détruites. Il n’en reste plus qu’une aujourd’hui. Elle a été conservée en souvenir de l’époque glorieuse et le soir la ville l’illumine.


Pouvez-vous nous donner un bref historique de cette coutume ?

La coutume des ermites était jadis cantonnée dans quelques villages voisins de la Haute-Vallée de l’Aude : Espéraza, Couiza, Montazels, Rennes-les-Bains, Arques Bugarach. Toutefois dans ces divers villages, elle est tombée dans l'oubli.

A Espéraza, on trouve les premières traces de cette manifestation en 1930.Le 25 juillet, jour de la saint Jacques, patron des chapeliers, avait lieu la grande fête de la chapellerie. L’après-midi des Cendres, en février, était un jour chômé dans les usines et, après souper, les ouvriers participaient au carnaval. Le lendemain du mercredi des Cendres était le jour des ermites. Parmi ces derniers se trouvaient de nombreux chapeliers. Cette fête marquait la fin du carnaval.

Les ermites passaient accompagnés de musiciens dans les ateliers, situés sous les maisons. Ils chinaient les filles, les patrons, chantaient de vieux airs et récoltaient argent ou bouteille dans leur panier.

Vers 1947 cette fête tomba en désuétude, il fallut attendre 1957 pour que les espérazanais fassent revivre cette tradition. 1970 fut l’année des changements. La sortie des ermites, fut reportée au dimanche de Pâques. Des chansons à thème firent leur apparition, ainsi qu’un apéritif à midi.

Le comité est composé de 15 personnes bénévoles. Le nom des ermites d’Espéraza est « Les joyeux fécos espérazanais ». Le samedi 23 juillet 2005, le comité fêtera ses 20 ans d’existence, regroupant tous ses membres mais aussi tous les anciens ermites ayant jadis participé à cette sortie.


Quelle est la tenue caractéristique d’un ermite ?

Un ermiteL’ermite porte sur ses vêtements une chemise de nuit blanche de femme, en grosse toile (l'ermite devient alors une "Dame Blanche"), ainsi qu’un chapeau melon noir. Son visage n’est pas masqué, il est simplement couvert par du noir de fumée, obtenu en chauffant à la flamme le bouchon en liège d’une bouteille de vin. C’est ce dernier que l’on se passe sur le visage. L’ermite se dessine des moustaches, des sourcils, un gros point sur chaque joue et un rond à l’œil. On appelle cela "se fè un eilh" (se faire un œil).


Comment se déroule cette journée de fête ?

Dès huit heures les ermites se rassemblent sur la place du village. Ils se déplacent de maison en maison afin de récolter les dons des villageois. Auparavant, lors de cette journée, une véritable quête alimentaire était organisée. Elle est aujourd'hui associée à une quête financière servant à payer l’organisation de cette journée.
Le chant et la musique occupent une place très importante. Des musiciens suivent le cortège et jouent "l'air des ermites".

A 16 heures, se déroule sur la place le rite du vin chaud. Tous les villageois sont invités. Cinquante litres de vin sont versés dans un grand chaudron de cuivre, appelé "pairola". Ce nom n'est pas sans évoquer plusieurs toponymes de la région: Peyre Escrito, Peyrolles, Peyro Dreïto... Autrefois, le chaudron était posé sur trois pierres, d'où le nom de "pairola", ("peyre" signifiant "pierre" en occitan). Aujourd’hui le chaudron est placé sur un trépied en fer. Dans le vin sont ajoutés 5 kg de sucre, des clous de girofle, de la canelle, du citron et des zestes d’orange.

A 17 heures les ermites font la tournée des bars et le soir se déroule une fête où tout le monde peut se déguiser.

Cette sortie très populaire est ouverte à tous. La personne désirant y participer doit juste prévoir une chemise de nuit blanche et être d’accord pour faire l’aumône et chanter. Les enfants ont également le droit de se joindre au groupe.

Mais il y a 20 ans de cela le folklore était légèrement différent.


Pouvez-vous être plus précis ?

Autrefois, en attendant que le vin soit chaud, on faisait le tour de l’âne. Le dernier marié de l’année juché sur l’âne se voyait affublé d’un "bainat" (frontal de bœuf avec deux cornes) et l’on faisait en chantant le tour de la place du village. On chantait entre autre à cette occasion la chanson du Cocut, le coucou ou encore l’incorrigible. Ces chansons traitaient toujours de l’inconduite des femmes et de l’infortune des maris.

La seconde différence, est qu’à l’époque, l'ermite à la tête du cortège portait une croix de bois d'environ trois mètres de haut, avec au centre de gros chapelets de bois ouvragé. Sur chaque bras étaient attachés saucisses et saucissons. Les ermites suivaient accompagnés de porteurs de paniers.
Ces derniers allaient de maison en maison pour recueillir des victuailles : tranches de jambon, œufs, saucisses et saucissons, destinées à l’élaboration d’un repas. Les femmes n’y étaient pas admises. Seuls musiciens et ermites pouvaient y participer.
Une canne ou un bâton complétait la panoplie, rappelant les attributs de l'ermite.


On pourrait trouver ce rituel de la croix assez peu conforme au catholicisme…

En effet, on peut penser que l’Eglise a vu d’un mauvais œil cette coutume. Elle devait d’ailleurs être là, en réaction contre cette institution. Mais en période de carnaval tout est permis…

 


Connaissez-vous l’origine de cette tradition ?

La sortie des ermites d'EspérazaIl serait effectivement intéressant de connaître ses origines, malheureusement ce n’est pas le cas.
Selon la tradition orale, le berceau de cette coutume pourrait trouver sa trace à Bugarach. Lors de la guerre de Sept Ans, des soldats originaires de cette contrée furent fait prisonniers en Haute-Silésie et auraient rapporté à leur retour certaines méthodes de fabrication dans leur village. Ce serait des chapeliers de la région de Bugarach qui, émigrant à Espéraza vers 1820, importèrent la coutume des ermites dans la vallée de l'Aude, apportant à la fois leur savoir-faire et leur fête locale. Les villages voisins auraient ensuite imité Bugarach et Espéraza.

En effet, Bugarach avait ses ermites, ou plutôt son ermite. Ici la cérémonie avait lieu le jour des Cendres, et il n'y avait qu'un seul ermite. Il portait perruque et fausse barbe faite avec la filasse de lin ou des "poils" de maïs, moustaches tracées au noir de fumée, comme habit une lourde "manrega" (manteau) des charretiers, capuchon rabattu. L'ermite tenait une croix de bois (3,5 mètres environ) au centre de laquelle était suspendu un collier de cheval avec ses grelots. Aux bras de la croix pendaient des saucissons. Les jeunes gens l'accompagnaient, ils n’étaient pas déguisés. Leur visage était seulement fardé au noir de fumée. Les uns portaient des paniers destinés à recueillir les offrandes: charcuterie et œufs, d'autres avaient un seau d'eau et un chaudron plein de cendres. Ces derniers, avec un petit balai de bruyère (Engranhero) aspergeaient ceux qui ne voulaient rien donner.


Pouvez-vous nous donner les paroles de la chanson de l’ermite ?

Les chansons entendues lors de cette fête ont été écrites par des espérazanais. Voici le texte de la chanson de l’ermite chantée de nos jours:

1er couplet :

Ermite Oh pauvre Ermite
Ma foi vous avez tort
De frapper à la porte
D’une fillette qui dort
D’interrompre son sommeil
Les voisins qui l’entendent
En parlerons demain……….Matin

2ème couplet :
Je ne suis pas Ermite
Je suis votre amoureux
Qui, nuit et jour, soupire
A la clarté de vos yeux
Je ne porte pas de besace
Je ne vous demande……….Rien
Que votre bonne grâce
Et votre doux entretien…….C’est certain

3ème couplet (en Patois) :
Un jorn, un paure Ermito
La fantaisio le pren
De se copa la barbo
Un jorn que fasio vent (bent)
La barbe fusquec copado
Et le vent se l’emportec
Abal, sur l’esplanado
Un pintre la ramassec…….d’en un rec

Traduction du 3ème couplet :

Un jour, le pauvre Ermite
La fantaisie lui prit
De se couper la barbe
Un jour qui faisait du vent
La barbe fut coupée
Et le vent l’a emportée
Las-bas sur l’esplanade
Un peintre l’a ramassée…..dans un ruisseau


L’ancienne version diffère quelque peu :

Ermite, pauvre ermite
Ma foi vous avez tort
De frapper à la porte
D’une fillette qui dort,
De frapper à la porte,
D’interrompre son sommeil,
Les voisins qui l’entendent
En parleront demain…matin.

Je ne suis point ermite,
Je suis votre amoureux
Qui, nuit et jour, soupire
Sous l’éclat de vos beaux yeux.
Réveillez-vous, mesdames,
Voici la pointe du jour
Et donnez à votre âme
Le secret de l’amour…l’amour.

La sortie des ermites d'EspérazaErmite, pauvre ermite,
Je te croyais perdu
Dans cet ermitage
Comment as-tu vécu ?
De racines sauvages
Et à l’ombre d’un ormeau
Une claire fontaine
Me fournissait de l’eau…de l’eau.

Terlin, terlin,
Encore pour la dernière fois
Je suis ton doux aimable,
Viens entendre ma voix.
Je ne porte point de besace,
Je ne vous demande rien,
Que votre belle grâce
Et vos doux entretiens…entretiens.

Version occitane :

Un jorn un paure ermita,
L’enveja se le prenguèc
De se copar la barba
Un jorn que fasiá vent.
La barba siguèc copada
E le vent se l’emportèc.
Avalh sus l’esplanada
Un pintre le ramassèc…ramassèc.


Quelles sont les manifestations organisées par le comité des « Joyeux fécos espérazanais»?

Il y a en tout dans l’année deux ou trois sorties :

- La sortie des enfants en février ou mars, aux alentours du carnaval. Celle-ci se déroule un samedi après-midi. Un goûter leur est offert, puis ils doivent répondre à des questions, sous forme d’animation.
- La fameuse sortie des ermites, avec une quête, animation dans les bars et sortie des fécos le soir.
- Enfin, une soirée fécos le samedi soir du carnaval selon les moyens financiers du comité.

Le comité organise parfois des lotos et le dimanche 19 juin 2005, il organise son premier vide-grenier. Il organise également des journées destinées à ses membres seuls : randonnées, cueillette des champignons (septembre)…

Tous les ans, les ermites se déplacent à Marseille pour le grand concours de « La Marseillaise à pétanque ». Ils sont invités chaque année pour animer cette grande manifestation et sont conviés à boire un apéritif avec les stars de la pétanque. Le chant à toujours sa place.


Y a t’il d’autres manifestations semblables dans la région ?

Oui, à Couiza par exemple.
Nous avons aussi le carnaval de Quillan, qui est une belle sortie, avec de splendides costumes. Leurs moyens financiers sont plus importants que ceux d’Espéraza. A Quillan, la sortie des fécos n’est pas chantée. A 10 heures se déroule un défilé basé sur un thème, à 16 heures a lieu la sortie des enfants et à 21 heures la sortie des fécos où monsieur carnaval est brûlé.