La
Gnose chrétienne
par Christian Doumergue
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Si le monde vous hait, sachez que moi, il m’a pris
en haine avant vous. Si vous étiez du monde, le monde
aimerait son bien ; mais parce que vous n’êtes
pas du monde, puisque mon choix vous a tirés
du monde, pour cette raison, le monde vous hait.
(Jésus à ses disciples,
Evangile de Jean, XV, 18-19.) |
Marie-Madeleine, l'héritière légitime de Jésus
dans la Gnose... |
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Doctrine du Salut se fondant sur le concept de la Connaissance (Gnosis en
grec), la Gnose chrétienne est un courant majeur du christianisme
antique qui a disparu sous sa forme première (elle perdurera
sous différents avatars, et renaîtra au moyen-âge
de façon tout à fait spectaculaire à travers
le Catharisme…) au tournant du IIIe siècle, lorsque
l’Eglise Romaine eut suffisamment de puissance pour imposer
sa vision du christianisme à l’ensemble des églises
chrétiennes. Dès ce moment, les églises gnostiques
furent déclarées hérétiques, et violemment
combattues par les théologiens romains, par le biais de
textes polémiques (comme Contre les hérésies,
dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur d’Irénée de Lyon, publiée en 180) mais
aussi de persécutions à la violence desquelles la
Croisade contre les Albigeois n’aura rien à envier…
Lors
de ces persécutions, qui relèvent de l’alliance
du pouvoir religieux et du pouvoir civil, ce dernier n’est
pas uniquement le bras armé de l’église, mais
un élément moteur du combat contre les hérétiques
qui mènent une vie non seulement contraire au christianisme
romain (dont ils se démarquent en prétendant être
porteurs de traditions secrètement transmises par Jésus à certains
de ses disciples, comme Marie-Madeleine), mais aussi aux normes sociales
dominantes.
Alors
que le christianisme romain évolue très vite
vers une religion du compromis entre les exigences spirituelles du
christianisme originel et les exigences sociales du monde dans lequel
il se développe, la gnose conserve le radicalisme mystique
qui était celui du Jésus véritable...
Postulant
que tout ce qui relève de la matière a été créé par
un ange maléfique (le Dieu des Juifs, par la suite honoré par
les chrétiens de Rome), les Gnostiques fuyaient la réalité tangible,
et la condamnaient comme trompeuse, pour se consacrer uniquement à la
recherche de l’intangible, de ce monde spirituel jusque là caché aux
yeux des hommes, dont Jésus, envoyé du véritable
Dieu, était venu révéler l’existence…
Cette
quête se traduisait par un refus total de se compromettre
avec les réalités de ce monde. Pour la pensée
gnostique, la matière est trompeuse et entretient l’homme
dans un mensonge permanent, en lui faisant apparaître comme
bon pour lui ce qui est en réalité mauvais, et vice-versa.
L’illusion dans lequel l’individu se trouve peut-être
cependant brisée. Cela par deux moyens : la Connaissance des
Mystères divins et de la véritable nature de l’homme
(la Gnose) ; et l’ascèse (régime végétarien
et abstinence sexuelle…).
Mais
cela va bien plus loin encore. Parce que la matière est
mauvaise dans son essence, les gnostiques se refusaient à l’entretenir,
et donc proscrivaient la procréation. Le mariage charnel est
dans leurs textes (l’Evangile de Philippe est un des
plus célèbres
traités à ce sujet) assimilé à la prostitution.
Les gnostiques lui préfèrent le mariage spirituel,
c’est-à-dire le mariage de l’âme avec son
image divine (l’esprit), seul capable de libérer l’âme
de la matière. En s’unissant à son double céleste,
l’âme s’affranchit complètement des tentations
de ce monde, et garantit sa libération…
Cet
affranchissement à l’égard du monde, qui
faisait des gnostiques, selon leur propre terme, des «étrangers»,
attira la haine du monde, qui n’avait sur eux ? à partir
de ce moment ? aucune emprise. C’est parce que les manichéens,
héritiers des gnostiques, refusaient ? notamment ? de combattre
dans l’armée, qu’ils furent persécutés
par le pouvoir civil…
Les
hérétiques étaient d’autant plus dangereux
qu’ils remettaient l’ensemble du système social
en question. Le refus de la procréation, de même que
le refus d’amasser les richesses de ce monde, sont bien sûr
deux éléments prégnants du caractère
anti-social du gnosticisme. Ils ne sont pas les seuls toutefois.
Ne faisant aucune distinction statutaire entre les sexes, les gnostiques
mettaient la femme sur un pied d’égalité avec
l’homme. Elle pouvait enseigner, baptiser, exorciser – autant
de choses qui lui était interdite au sein de l’orthodoxie
romaine. Cette place, exceptionnelle dans l’Antiquité (où les
seules femmes qui peuvent espérer une certaine instruction,
sont les seules femmes libres d’alors : les courtisanes) explique
que les écrits gnostiques soient les seuls qui aient conservé le
souvenir du rôle que joua exactement Marie-Madeleine auprès
de Jésus...
En
favorisant le christianisme romain au détriment du christianisme
gnostique, le pouvoir politique n’a fait que servir ses intérêts.
Il a jugulé un mouvement de libération de l’homme
non pas basé sur la libération politique et extérieure
de l’individu (rappelons que pour Jésus, il convient
de laisser à César ce qui est à César…),
mais sur sa libération spirituelle et intérieure (le
Royaume, proclame Jésus dans l’Evangile de Thomas,
n’est
pas à l’extérieur de l’homme mais à l’intérieur…),
la seule à pouvoir véritablement remettre en question
un système socio-politique (l’Histoire est une démonstration
poignante du caractère vain des révolutions politiques…).
Le christianisme est entre ses mains devenu un instrument de contrôle
de la pensée. Cette instrumentalisation de la religion, en
privant le monde occidental du véritable christianisme, l’a
ce faisant dépossédé d’une richesse spirituelle équivalent à celle
du bouddhisme, dont la gnose chrétienne dérive très
certainement (Reposant sur les deux principes fondateurs de la démarche
bouddhiste : le cycle infernal des réincarnations (ou Samsara)
dont l’adepte doit se libérer, et l’Eveil (terme
employé par plus d’un auteur gnostique…), la Gnose
serait ainsi, d’une certaine manière le «chaînon
manquant» entre le bouddhisme et le christianisme…).
Christian
Doumergue
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