La première
porte
A l’heure où l’on s’apprête à fêter
le centième anniversaire de la naissance d’Arsène
Lupin, l’œuvre de Maurice Leblanc suscite à nouveau
un regain d’attention. Déjà en 1992, Patrick
Ferté avait défrayé la chronique, en publiant « Arsène
Lupin supérieur inconnu », la clé de l’œuvre
codée de Maurice Leblanc.
Les méandres du mystérieux sont parfois impénétrables
et souvent inattendus. L’attention du public s’est focalisée
depuis une quarantaine d’année autour des mystères
des villages comme Gisors, Stenay, Rennes-le-Château, etc…,
attisée par une littérature féconde, sans avoir
la moindre idée de ce qui pouvait se tramer ailleurs.
Au cours d’un premier voyage à Rennes le Château «RLC » en
juin 1999, une bonne fortune nous fit acquérir le livre de
P. Ferté. Nous devons bien l’avouer dès maintenant;
si nous n’avions pas effectué ce déplacement,
nous n’aurions sans doute jamais pris autant d’intérêt
et de plaisir à investiguer sur la place de Gaillon. Sans
cette première étude, notre livre, « Mémoires
des deux cités», n’aurait sans doute jamais
vu le jour.
De
ce fait, nous pouvons dire un grand merci à Mr Ferté qui
nous aura Aiguillé, par
la lecture de son ouvrage. De nouvelles possibilités se sont
offertes à nous dès qu’il eut réussi dans
son « Arsène Lupin, Supérieur Inconnu » à faire
la lumière sur la face occultée de la Chartreuse de
Bourbon-lèz-Gaillon. En passant au peigne fin les romans de
Maurice Leblanc, entre autres «L’aiguille creuse », « Dorothée
danseuse de cordes», « la demeure mystérieuse », « 813 » ou « l’île
aux trente cercueils», un faisceau d’indices jailli,
aussi troublant que déconcertant.
Mais que venait donc faire Gaillon dans cette galère? On aurait
peine à se le demander quand P. Ferté titrait dans
son livre «de Gaillon à Rennes» (RLC) ou « Gaillon,
clé secrète du triangle d’or »; la
clé d’un
coffre, enveloppée dans un voile de mystère jetée
dans un puits situé au fond d’un parc.
Aux quatre coins cardinaux
Dans cette première partie de « Mémoire des
deux cités », si nous avons choisi de raconter l’histoire
de Gaillon sans aborder directement l’affaire RLC, c’est
pour permettre au lecteur de ne pas se perdre en conjecture en lui
apportant une base historique solide et vérifiable quand il
s’attaquera à la lecture du second volume. Ce que nous
avons découvert au cours de notre enquête est si stupéfiant
que cela imposait une rigueur sans équivoque.
Notre objectif premier fut tout d’abord de contrôler
les affirmations de P. Ferté. Celui-ci avait écrit
qu’un grand nombre d’archevêques de Rouen avaient
séjourné entre Normandie et Languedoc-Roussillon. Après
vérification, il s’avère en effet qu’environ
70% des archevêques de Rouen ont fait la navette entre le Midi
de la France et Rouen; cela depuis 1262 jusqu’à l’accession
au siège archiépiscopal rouennais de Msg de Bonnechose
en 1858.
Cette affaire porte l’empreinte indélébile des
cathares et des templiers; 1262 marque la fin de la croisade albigeoise.
Avant cette date nous ne constatons aucune mutation de postes archiépiscopaux
entre la Normandie et le Midi. Puis tout change. Pendant 500 ans,
Gaillon et son château restèrent entre les mains des
archevêques de Rouen. 37 prélats se succédèrent
sur le trône archiépiscopal rouennais jusqu’à la
Révolution de 1789. Msg de Bonnechose fait exception; c’est
l’exception qui confirme la règle. Ces 37 archevêques
se répartissaient en 29 familles. De ces 29 familles, 21 ont
eu un ecclésiastique en Normandie et en Languedoc. Mémoires
des deux cités (T1) se centralisera donc sur la partie historique
de la ville de Gaillon, avant de découvrir tout le mystère
qui l’entoure et ses liens avec Rennes-le-Château, Rennes-les-Bains.
Pour ne citer que quelques archevêques, voyez les biographies
du Cardinal François de Joyeuse, Charles de Bourbon-Vendôme,
George d’Amboise, Guillaume de Flavacourt, Louis d’Harcourt,
Bernard de Fargis, Guillaume Aycelin de Montaigu, Guillaume de Durfort.
Tous ont parcouru la France de Haut en Bas et de Bas en Haut… pourquoi?
On constate ainsi qu’une coterie de prélats ayant séjourné entre
Normandie et Languedoc, des ecclésiastiques affiliés à des
sociétés secrètes oeuvrèrent à la
dissimulation de secrets. Des structures parallèles encore
plus discrètes évoluant dans les milieux religieux
et laïcs sont peu à peu mises au jour.
Chartreux & Cie
Le
décryptage de P. Ferté,
par le truchement de la langue des oiseaux, a soulevé un lièvre.
Nous nous sommes permis de le rattraper avant qu’il ne nous
file entre les doigts. Dès lors, Dorothée danseuse
de cordes, nantie d’une médaille, «in robore
fortunat»,
nous introduit dans la Chartreuse de Bourbon-lèz-Gaillon,
anti-chambre de la Demeure Mystérieuse. Son élixir
de résurrection au goût de chartreuse verte a fait ressurgir
certaines vérités que quelques personnes bien attentionnées
avaient cru bon de devoir dissimuler… jusqu’au 12
juin 1921 au château de Perillac ou dans un traité de Gaillon… Périlleux
!
Dorothé Aubourg, dernier des prieurs de la
Chartreuse de Gaillon puis curé d’Aubevoye, fut probablement
le dernier détenteur de ces secrets. Sa bibliothèque,
sur laquelle nous avons déjà longuement disserté,
renfermait les médailles frappées pour le règne éphémère
de Charles X (archevêque de Rouen, Cardinal de Bourbon), roi
de la Ligue. Elles étaient estampillées du millésime
1592 *A* et de la devise du Cardinal de Bourbon « CHRISTUS
REGNAT, VINCIT ET IMPERAT ». Cette sentence ne restera pas
indifférente aux exégètes de l’affaire
de Rennes-le-Château, car c’est en partie la citation
latine gravée autour du calvaire du jardin de l’église.
D’autres personnages cités en filigrane dans l’œuvre
de M. Leblanc sont venus se réfugier à la Chartreuse
de Gaillon: J.F. Marmontel, l’académicien, fuyant la
Terreur ; Vigneul-Marville, dit Bonaventure d’Argonne (Nom
de Dorothée dans le roman et diseuse de bonne aventure), en
disgrâce, se retira à Gaillon. Il avait eu la mauvaise
idée de critiquer la compagnie du Saint-Sacrement. C’était
un très bon ami de N. Poussin tout comme Jean Lemaire qui
fut son bras droit, d'où son surnom. Il fit de nombreux voyages
entre Paris et Rome avant de s'établir définitivement à Gaillon.
Il finit ses jours en l'année 1659 et fut enterré dans
la Chartreuse de Bourbon-lèz-Gaillon dont la construction
fut ordonnée par Charles 1er de Bourbon, archevêque
de Rouen. Autre connaissance de Poussin ayant séjourné à la
Chartreuse: Eustache Lessueur, qui était un de ses élèves
et mourut aussi à Gaillon. Lessueur avait peint la série
des 22 tableaux représentant la vie de Saint-Bruno, pour la
grand Chartreuse de Paris.
Des personnages clés
Le plus étonnant est de retrouver une foule de personnages
emblématiques à Gaillon, à RLC ou alentours.
Une multitude de personnes fourmillent; Saint Vincent de Paul, Charles
Nodier, Alexandre Lenoir et la famille Hautpoul, Msg de Bonnechose,
Msg Billard, Viollet-Leduc et même Saint Antoine l’Ermite.
Au gré des lectures lupinniennes nous découvrirons,
au détour d’une page du triangle d’or, une mention
spéciale au journal de Benjamin Franklin, F.°.M « logé » chez
les neuf sœurs, dans lequel il fait part de son voyage à Gaillon
le 14 juillet 1785 et de sa rencontre avec Msg de la Rochefoucault
dont la famille, ne l’oublions pas, possédait la baronnie
d’Arques dans l’Aude.
Nicolas Filleul est encore un de ces personnages, faisant le lien
entre Gaillon et RLC, soumis à notre perspicacité par
M. Leblanc dans la Demeure Mystérieuse ou Jean Joconde (Fra
Giocondo) dans l’aiguille creuse.
N.
Filleul était un poète normand
du XVIème siècle. En 1566, il écrivit les
théâtres
de Gaillon à la Reine. Dans cette œuvre poétique,
certains titres comme l'île heureuse ou la pastorale les
ombres sont assez évocateurs du mythe de l'Arcadie, récurant
dans l'affaire de RLC. Ces pièces furent jouées dans
la Maison Blanche du Parc du Lydieu. Nous y reviendrons.
Le Château de Gaillon a, dans beaucoup de ses aspects, quelque
chose de la Joconde. Bien que de nombreux historiens soient en désaccord
sur ce point, de nombreuses chroniques gaillonnaises rapportent,
dès 1850, que Jean Joconde, moine dominicain, fut l’un
des architectes participant à l’édification du
château de Gaillon. S’il ne fut sur le terrain, il eut
l’occasion de mettre sa touche personnelle au plan du château.
Les lignes harmonieuses du château de Gaillon ne sont pas le
fruit du hasard ou dues au coup d'oeil juste. Elles naissent nécessairement
de la Divine Proportion, pratiquée avec science par Fra Giocondo,
Jean Juste de Tour et les autres architectes ayant oeuvré à Gaillon.
Il en résulte une approche nouvelle faisant de ce château
Renaissance un «Nouveau Temple» plus qu’un Palais
de plaisance archiépiscopal.
Le château de Gaillon apparaît comme un de ces châteaux
alchimiques, une de ces demeures philosophales (D.M) oubliées
de Fulcanelli. Le visiteur profane ne s’attardera pas sur des
débris de sculptures étant pour lui dénués
de sens. Mais parmi les vestiges architecturaux que nous avons recensé (escargots,
feuilles de chêne et glands, coquilles, griffons, roues, vouivre,
chat, sirène, lapin, spirales, labyrinthe etc…), la
symbolique la plus représentative est gravée dans un
bas-relief, autrefois disposé dans la chapelle haute, aujourd’hui
exposé au musée du Louvre; Saint Georges terrassant
le Dragon. Le langage initiatique des alchimistes défini l’acte
de terrasser un dragon ailé comme une manière de maîtriser
ou matérialiser une substance ignée, spirituelle ou
potentielle. C’est une phase du Grand Œuvre.
La Clé du mystère
Depuis notre retour du pays d’Oc en cet été 1999,
nous tentions inexorablement de rattacher les indices exhumés
par P. Ferté. Par un beau dimanche ensoleillé, au gré d’une
promenade au château de Gaillon, rien ne pouvait présager
de ce que nous allions découvrir. Un fabuleux concours de
circonstances allait amorcer, pour nous, la plus inconcevable quête.
Un commencement de piste se présentait.
Le château était ouvert au public. Une exposition permanente
située dans les étages du pavillon d’entrée
donnait un aperçu des dispositions primitives du palais Renaissance.
Au premier étage, une série de clichés photographiques
montrait l’état du château actuel et les restaurations
en cours. Plus loin, des plans et des gravures d’époques
dessinés par l’architecte Androuet du Cerceau (1572),
tapissaient les murailles de pierres.
C’est là, dans le fond de cette pièce que nous
trouvions cette gravure représentant un parc, un pavillon
et des pièces d’eau. Les créateurs des jardins
du château avaient attribué le nom du Lydieu à cet
endroit dans lequel avait été construit une Maison
Blanche. Ce nom se réfère à un thème
abordé dans la seconde églogue des Théâtres
de Gaillon à la Reine, de Nicolas Filleul, où deux
bergers d’Arcadie, Damis et Mospe, échangent leurs états
d’âmes sur la piété et la justice qu’incarnaient,
vêtus de blanc, Paris et Apollon. Les effigies des bergers
d’Arcadie sur leur piédestal étaient représentées
une clé en main.
Les particularités de ce parc allaient nous plonger dans un
abîme de trouvailles époustouflantes faisant de nous
une machine à explorer le temps et de cette clé, car
la forme générale de ce parc était belle et
bien une clé avec sa serrure formée par un bassin d’agrément
où nageaient des cygnes (comprendre, langue des oiseaux oblige:
des signes) : l’objet de toutes nos attentions.
Il y avait bien là des signes de pistes. Il ne tenait qu’à nous
de poursuivre nos investigations selon la méthode d’Isidore
Beautrelet, étudiant âgé de 17 ans dans l’Aiguille
creuse, en fouillant dans les chroniques locales, les recueils, interrogeant
les érudits locaux, les amateurs de vieilles légendes
et enfin en dénichant la première publication concernant
Gaillon : Compte de dépenses de la construction du Château
de Gaillon d’Achille Deville, un diable d’homme, membre
de l’Académie des Inscriptions et belles-lettres, véritable
clone de Mr Massiban/Lupin (historien dans l’Aiguille creuse).
Mais l’arrivée de Beautrelet à Gaillon nous réserva
bien d’autres surprises.
Cette clé, emblème maçonnique du Maître
ou du Trésorier, le Joyau de l’officiant, allait donc
nous ouvrir une porte… que dis-je!... LA PORTE; la porte de
la Demeure Mystérieuse. Outre le titre d’une des aventures
de Maurice Leblanc, la Demeure Mystérieuse était sans
conteste le Palais archiépiscopal des archevêques de
Rouen, le susnommé Château de Gaillon.
©Le Mercure de Gaillon, Thierry Garnier – 17 Janvier
2005
Tous droits réservés.
www.lemercuredegaillon.net
Cet article est une présentation de l’ouvrage de Thierry
Garnier, Mémoires des Deux Cités : Tome 1 et un avant
goût du Tome 2. Le tome 1 est en vente sur son site Internet,
dont l’adresse figure ci-dessous :
http://www.lemercuredegaillon.net
Il est également possible de le commander par courrier chez
l’auteur, à l’adresse ci-dessous :
Thierry Garnier
41, rue Jacques Prévert
27600 Gaillon
Mémoires des deux cités, T1- Gaillon historique – prix
22 € (+ 2,80 € de frais de port):
Après le faste de l’ancien régime, Gaillon, domaine
ecclésiastique dès 1262, s’est lentement endormi
dans l’indifférence la plus totale à partir de
1790.
Recouvrer l’histoire oubliée d’une cité millénaire,
c’est un peu comme mener une enquête policière
digne d’un Maurice Leblanc. Arsène Lupin n’est
pas loin! Sans cambrioler l’histoire de France mais en forçant
quelques portes munies de clés cabalistiques, Gaillon passe à nouveau
de l’ombre à la lumière.
Dans Mémoires des Deux Cités nous vous proposons de
participer à un voyage non seulement Historique, mais aussi
Mystique et Hermétique, au cœur du pays de Madrie, menant
jusqu’aux confins du Midi de la France: un parcours initiatique
vers un Chemin Doré.
Ce premier récit relate la trame historique connue de notre
ville. Préparez-vous pour un second périple plein de
surprises et d’inattendus. L'histoire de Gaillon, telle que
ses habitants l'ont apprise, restait jusqu’à ce jour
incomplète. Pour les autres, ils la découvriront.