Je vous propose de vous plonger dans une prenante légende du passé, celle d’un énigmatique souterrain qui prendrait forme sous un des versants escarpés de la commune de Trèves, petit village du département du Rhône, situé précisément à l’extrême nord du territoire du Pilat. Des habitants se souviennent d’histoires entendues durant leur enfance ; certains sont à même d’évoquer des détails, d’autres de vous donner telle ou telle explication intéressante. Ces suggestions ou parfois affirmations méritent une analyse spécialement étayée, attardons-nous y... Trois lignes, dans une ‘notice sur la commune de Trèves’, écrites par un religieux, l’abbé Chavannes, et publiées dans deux versions, respectivement en 1862 et 1871, nous évoquent déjà le passage du souterrain. Il est décrit long de 1 kilomètre, au nord de la commune, dans le domaine de Mr Bret, premier Maire de cette commune ; cette dernière alors récemment créée, ceci depuis 1849, car auparavant elle était rattachée à sa grande soeur voisine, Longes. Rien ne prouve que ce souterrain soit accessible en cette deuxième partie du 19ème siècle. Le prêtre rédacteur, affirme simplement ‘existe’. Ce dernier est tellement précis sur quantités d’autres détails de son livret et à la fois indépendants de ce sujet, que nous pouvons raisonnablement affirmer qu’il nous fait part de toutes les informations qu’il possède, aussi pouvons nous en conclure que déjà à cette époque, la mystérieuse galerie est inaccessible. Durant le millénaire passé, les lieux ont été en partie boisés, ils le redeviennent aujourd’hui. Ils ont aussi été cultivés en vignobles, ils l’étaient encore pendant une partie du vingtième siècle. La vallée où coule le Gier fut une frontière en plusieurs époques. Des postes d’observation se trouvaient inévitablement positionnés sur les collines. Ces ‘miradors’ militaires voués à la surveillance, au fil du temps ont pu devenir des fermes, plus ou moins fortifiées ; ce versant Nord étant en revanche très peu peuplé. Pour bon nombre d’initiés la clef du mystère tient à la durable présence de religieux Chartreux sur place. Effectivement, les moines de la Chartreuse de Sainte-Croix en Jarez, monastère situé à quelques 8 kilomètres de Trèves, au fil des siècles, ont acquis beaucoup de biens, notamment par dons et legs. Ce sont des terrains, des vignobles, des bois, des domaines entiers qui ont développé un patrimoine conséquent, réparti sur plusieurs villages. Dès la fondation de la Chartreuse en 1280, Béatrix de Roussillon, fit don de terres sur Trèves, avec le domaine du Gier et le domaine du Mouillon. On retrouve encore aujourd’hui des bâtisses, rénovées ou abandonnées, mais aussi plusieurs anciennes ‘granges’. Retenons que les deux domaines figurent à l’inventaire de la Chartreuse à la Révolution et qu’ils furent vendus aux enchères comme biens nationaux en 1791. Ils ont donc été plus de 500 ans la propriété des Chartreux ; pour cette raison attardons- nous sur ces derniers. Nos religieux amputaient rarement leur patrimoine. Mais ils étaient parfois cependant obligés, lorsqu’ils se trouvaient dans le besoin financier, de se séparer de biens, de préférence les moins utiles. La longue présence des Chartreux a t-elle un lien avec le souterrain ? Il est fort probable en tout cas, que ce dernier transitait ‘sous’ leur propriété. Alors comment penser qu’ils n’en aient pas eu connaissance ? Ces hommes menaient une existence simple, partagée entre leurs aspirations spirituelles, d’innombrables lectures et autres prières, ils cultivaient leurs terres, et se consacraient à toutes les tâches physiques nécessaires à leur vie en autarcie. Véritables artisans, ils maîtrisaient une quantité de métiers manuels et leurs connaissances à elles seules rassemblaient bien des dictionnaires et encyclopédies ! Pourquoi, auraient-ils conçu ce souterrain sur Trèves ? Sûrement pas en vue de protéger les paysans de leur domaine, ni même leur propre personne. Déjà précisons que les moines n’étaient que rarement sur place, même s’ils possédaient une chapelle pour leurs brefs passages, ces derniers se limitant à quelques heures. Puis ajoutons ici, un détail supplémentaire, à savoir que notre abbé Chavannes dans les écrits qu’il nous a laissé précise ‘...existe un souterrain long de 1 km dans lequel on prétend que l’on cachait les objets précieux dans les jours de troubles…’ Les Chartreux voulaient-ils tenir à l’abri les maigres ‘richesses’ de petits paysans d’une campagne anodine ? Non, sérieusement cette éventualité ne tient pas. Le motif ayant entraîné la réalisation de ce souterrain est ailleurs. Des concessions minières accordées au début du dix-neuvième siècle attestent la présence de galeries minières sur Dargoire et Tartaras, par conséquent juste de l’autre côté de la vallée de ce versant de Trèves, mais, aucun lien possible avec notre souterrain, le territoire hypothétique concerné par ce dernier n’est englobé sur aucun tracé minier. Même si on peut toujours penser que des oublis sont possibles, les écrits de notre abbé et le début de l’exploitation de ces mines sont beaucoup trop rapprochés dans le temps ! Aucune mine, à aucune époque n’a jamais été exploitée, ni signalée sur ce versant Nord de la commune de Trèves. Il est vrai en revanche que dans les environs d’autres filons ont apparemment été exploités dès le quatorzième siècle mais dans ce dernier cas c’était à ciel ouvert que se faisaient les extractions. Un réel semblant de départ bouché, est évoqué, peut-être à juste titre comme le commencement (ou la sortie) du souterrain, ceci justement dans une ancienne demeure chartreuse, au hameau des Pères exactement, l’ancien domaine du Gier. Nous avons pratiquement exclu que les moines puissent avoir été les concepteurs de cette mystérieuse galerie, néanmoins nous pouvons raisonnablement retenir qu’ils ont eu sous leur ‘responsabilité’ cette dernière. Par déduction, il nous faut revenir maintenant à la généreuse bienfaitrice, Béatrix de Roussillon, qui légua les biens et domaines triviens. Elle fonda la Chartreuse de Sainte-Croix à une époque cruciale pour le devenir de la chrétienté. Il serait présomptueux de signaler ici même des données historiques de tout premier plan, sans y ajouter immédiatement que son époux, donna sa vie pour une impérieuse mission qu’il s’efforça de remplir en Terre Sainte justement dans le cadre de ce majeur et irréversible déclin des forces chrétiennes. Guillaume de Roussillon, seigneur valeureux, fut mandaté lors du concile oecuménique de 1274, réuni par le pape Grégoire X, à Lyon, pour prendre la tête de renforts envoyé combattre les infidèles. Les croisades, au nombre de huit, se sont terminées par la mort du roi Saint-Louis, emporté par la peste, sous les portes de Tunis en 1270. Pourtant, il faudra attendre 1291 et la chute d’Acre, pour voir disparaître à jamais un semblant de puissance croisée en Terre Sainte. Voila très brièvement résumés des faits historiques. D’une manière générale, nous pensons que l’Histoire a oublié un peu trop facilement ce qui a pu se dérouler entre 1270 et 1291. Certes, ce concile oecuménique de 1274, peut être assimilé à une tentative de prêche d’une neuvième croisade, mais qui a avorté, ceci devant le pessimisme ambiant qui régnait dans le camp occidental. La Terre Sainte, ne mobilisait plus, la noblesse n’y croyait plus. Pourtant Guillaume de Roussillon, à la tête de 400 hommes seulement, partira avec les derniers renforts officiels qui y seront envoyés, lors d’une mission presque totalement suicidaire, du moins en apparence. Il sera là-bas un fidèle soutien à l’Ordre du Temple, avec alors à leur tête comme grand maître, Guillaume de Beaujeu. L’union des deux Guillaume est à notre sens capital dans la juste interprétation des données. Bien sûr en 1274, Guillaume ne savait pas qu’il disparaîtrait deux ans plus tard pour la cause qu’il a mortellement servie, mais il eut tout le temps nécessaire pour planifier et faire planifier la réalisation de cette énigmatique galerie. Le versant Nord de Trèves était entouré sur des kilomètres à la ronde par des territoires appartenant aux Roussillon ; collines parfaitement et naturellement agencées pour exercer une surveillance de tous les instants. Béatrix de Roussillon dut prendre en apparence des décisions importantes, en fondant notamment la Chartreuse de Sainte-Croix. On sait aujourd’hui avec précision que Guillaume de Beaujeu reviendra précipitamment de Palestine au mois de février 1278, en octobre 1279 et aussi de janvier à avril 1280 et enfin en juin et juillet 1283. La Chartreuse était en train de se mettre en place et avec elle les moyens de sauvegarder intactes des richesses croisées. Nous ne développerons point ici les composantes de ses richesses, n’ayant pas d’éléments suffisamment probants pour s’y risquer. En revanche, nous retiendrons ce contexte suffisamment précis pour penser que le souterrain de Trèves puisse y avoir pris forme. Contrairement à une idée largement répandue depuis plus de deux cents ans, précisons pour conclure que la Chartreuse de Sainte-Croix n’a pas été construite sur un terrain nu et vierge d’Histoire, mais bien en lieu et place d’une ancienne et mystérieuse forteresse ayant appartenu déjà aux Roussillon où certainement il y avait intérêt à masquer ce très vieux passé. Pour preuve les Chartreux s’efforcèrent pendant leurs 500 années de présence de ‘colporter’ un soi disant songe merveilleux qui aurait guidé la noble dame Béatrix à travers le Jarez pour au final arriver sur un terrain nu ou un homme l’attendait. Ce conte de fées a perduré jusqu’au milieu des années 80, avant que suffisamment de preuves, autant écrites qu’archéologiques, bouleversent enfin la logique pré-établie. Ces mêmes Roussillon que certains historiens locaux considèrent aujourd’hui, ni plus ni moins comme des descendants d’une dynastie sacrée, loin d’être totalement étrangère à l’Affaire de Rennes-le-Château, ceci dans sa théorie mérovingienne, mais c’est un autre sujet, sans lien direct avec la mystérieuse épopée mortelle de Guillaume en Terre Sainte, donc pour le moment nous en resterons là, laissant notamment planer encore certaines zones d’ombre et de doutes sur l’énigme de Trèves et le mystérieux souterrain du Pilat. Thierry Rollat
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