Le mystérieux souterrain du Pilat
Thierry Rollat


Trèves

Je vous propose de vous plonger dans une prenante légende du passé, celle d’un énigmatique souterrain qui prendrait forme sous un des versants escarpés de la commune de Trèves, petit village du département du Rhône, situé précisément à l’extrême nord du territoire du Pilat. Des habitants se souviennent d’histoires entendues durant leur enfance ; certains sont à même d’évoquer des détails, d’autres de vous donner telle ou telle explication intéressante. Ces suggestions ou parfois affirmations méritent une analyse spécialement étayée, attardons-nous y...

Trois lignes, dans une ‘notice sur la commune de Trèves’, écrites par un religieux, l’abbé Chavannes, et publiées dans deux versions, respectivement en 1862 et 1871, nous évoquent déjà le passage du souterrain. Il est décrit long de 1 kilomètre, au nord de la commune, dans le domaine de Mr Bret, premier Maire de cette commune ; cette dernière alors récemment créée, ceci depuis 1849, car auparavant elle était rattachée à sa grande soeur voisine, Longes. Rien ne prouve que ce souterrain soit accessible en cette deuxième partie du 19ème siècle. Le prêtre rédacteur, affirme simplement ‘existe’. Ce dernier est tellement précis sur quantités d’autres détails de son livret et à la fois indépendants de ce sujet, que nous pouvons raisonnablement affirmer qu’il nous fait part de toutes les informations qu’il possède, aussi pouvons nous en conclure que déjà à cette époque, la mystérieuse galerie est inaccessible.

Le haut du clocher de l'église de TrèvesLes légendes de souterrains sont assez courantes en France. Leur existence est souvent vérifiée ; assez régulièrement un château y est associé. Ici, ceux de Châteauneuf et Dargoire étaient les plus proches. Si la longueur de 1 km se vérifiait, ce n’est pas d’eux que notre souterrain pouvait partir ou arriver. Gardons tout de même le bénéfice du doute pour une hypothétique ramification, mais le premier cité est bien loin, quant au second, outre une distance conséquente avoisinant les 2 kms, il faudrait en plus passer sous une grosse rivière, le Gier, partant d’un fort dénivelé en rapport au coteau censé abriter le souterrain. La longueur affirmée est vraiment importante, presque trop importante pour qu’on l’accepte en tant que telle. La roche du pays, se travaille peut-être plus facilement que le granit du Pilat proprement dit, ; il s’agit ici en l’occurrence d’une roche grise, argileuse, très friable contenant beaucoup de parties micacées et quartzeuses. Réaliser une galerie souterraine d’une longueur significative de 1 kilomètre revient raisonnablement à conclure à une concrétisation peu rationnelle. Effectivement imaginons le chantier à mettre en oeuvre, dans une discrétion de mise pour ce genre de réalisation ! Nous ne nous attarderons pas plus ici sur les techniques de conception des souterrains, évacuation des débris de roche et terre, puits d’air, etc... Nous retiendrons qu’il fallait de bonnes raisons pour le réaliser.

Durant le millénaire passé, les lieux ont été en partie boisés, ils le redeviennent aujourd’hui. Ils ont aussi été cultivés en vignobles, ils l’étaient encore pendant une partie du vingtième siècle. La vallée où coule le Gier fut une frontière en plusieurs époques. Des postes d’observation se trouvaient inévitablement positionnés sur les collines. Ces ‘miradors’ militaires voués à la surveillance, au fil du temps ont pu devenir des fermes, plus ou moins fortifiées ; ce versant Nord étant en revanche très peu peuplé. Pour bon nombre d’initiés la clef du mystère tient à la durable présence de religieux Chartreux sur place. Effectivement, les moines de la Chartreuse de Sainte-Croix en Jarez, monastère situé à quelques 8 kilomètres de Trèves, au fil des siècles, ont acquis beaucoup de biens, notamment par dons et legs. Ce sont des terrains, des vignobles, des bois, des domaines entiers qui ont développé un patrimoine conséquent, réparti sur plusieurs villages. Dès la fondation de la Chartreuse en 1280, Béatrix de Roussillon, fit don de terres sur Trèves, avec le domaine du Gier et le domaine du Mouillon. On retrouve encore aujourd’hui des bâtisses, rénovées ou abandonnées, mais aussi plusieurs anciennes ‘granges’. Retenons que les deux domaines figurent à l’inventaire de la Chartreuse à la Révolution et qu’ils furent vendus aux enchères comme biens nationaux en 1791. Ils ont donc été plus de 500 ans la propriété des Chartreux ; pour cette raison attardons- nous sur ces derniers.

Nos religieux amputaient rarement leur patrimoine. Mais ils étaient parfois cependant obligés, lorsqu’ils se trouvaient dans le besoin financier, de se séparer de biens, de préférence les moins utiles. La longue présence des Chartreux a t-elle un lien avec le souterrain ? Il est fort probable en tout cas, que ce dernier transitait ‘sous’ leur propriété. Alors comment penser qu’ils n’en aient pas eu connaissance ? Ces hommes menaient une existence simple, partagée entre leurs aspirations spirituelles, d’innombrables lectures et autres prières, ils cultivaient leurs terres, et se consacraient à toutes les tâches physiques nécessaires à leur vie en autarcie. Véritables artisans, ils maîtrisaient une quantité de métiers manuels et leurs connaissances à elles seules rassemblaient bien des dictionnaires et encyclopédies ! Pourquoi, auraient-ils conçu ce souterrain sur Trèves ? Sûrement pas en vue de protéger les paysans de leur domaine, ni même leur propre personne. Déjà précisons que les moines n’étaient que rarement sur place, même s’ils possédaient une chapelle pour leurs brefs passages, ces derniers se limitant à quelques heures. Puis ajoutons ici, un détail supplémentaire, à savoir que notre abbé Chavannes dans les écrits qu’il nous a laissé précise ‘...existe un souterrain long de 1 km dans lequel on prétend que l’on cachait les objets précieux dans les jours de troubles…’ Les Chartreux voulaient-ils tenir à l’abri les maigres ‘richesses’ de petits paysans d’une campagne anodine ? Non, sérieusement cette éventualité ne tient pas. Le motif ayant entraîné la réalisation de ce souterrain est ailleurs.

Trèves, bâtisse sur le passage présumé du souterrainLa présence affirmée d’un camp romain non loin de là, ne peut faire franchir le pas vers une possible réalisation par ces derniers. Même s’il ne faut rien écarter, ils n’avaient pas d’ennemis craints précisément en ces lieux et époques : des déplacements au sol plutôt qu’en sous-sol restent à privilégier fortement. Plus généralement le souterrain, même si l’aqueduc du Gier par exemple nous rappelle leur génie de bâtisseurs, n’était pas un moyen de fuite ou de cachette romaine. Juste pour argumenter ma pensée, sachez qu’à Chagnon (42), on peut encore aujourd’hui se ‘promener,’ en toute sécurité, légèrement recroquevillé, sur 82 mètres de souterrain, grâce à des parties intactes ou presque de cet ancien aqueduc.

Que le souterrain soit plus récent que la révolution n’est pas une hypothèse que l’on retiendra, car les écrits de l’abbé étaient beaucoup trop rapprochés dans le temps de cet événement historique majeur. Précisons pour mémoire, que notre religieux a pris ses fonctions à Trèves en 1831, il a donc publié sa première notice fort de trente années de vécu, ceci en 1862 et sa seconde en 1871 ; cette dernière apportait quelques éléments nouveaux en divers passages. L’homme d’Eglise, imprécis, en savait-il plus ? Les troubles, il y en a eu et durant de nombreux siècles, des invasions répétées, les guerres de religions, dans tous les cas dévastatrices pour les populations. La vallée du Rhône et ses environs n’ont pas été épargnés. Les campagnes étaient peu sécurisés. Mais nous sommes loin de la nécessité de réaliser un souterrain de 1 kilomètre sur ces lieux, qui plus est pour préserver ou protéger des biens.

Des concessions minières accordées au début du dix-neuvième siècle attestent la présence de galeries minières sur Dargoire et Tartaras, par conséquent juste de l’autre côté de la vallée de ce versant de Trèves, mais, aucun lien possible avec notre souterrain, le territoire hypothétique concerné par ce dernier n’est englobé sur aucun tracé minier. Même si on peut toujours penser que des oublis sont possibles, les écrits de notre abbé et le début de l’exploitation de ces mines sont beaucoup trop rapprochés dans le temps ! Aucune mine, à aucune époque n’a jamais été exploitée, ni signalée sur ce versant Nord de la commune de Trèves. Il est vrai en revanche que dans les environs d’autres filons ont apparemment été exploités dès le quatorzième siècle mais dans ce dernier cas c’était à ciel ouvert que se faisaient les extractions.

Un réel semblant de départ bouché, est évoqué, peut-être à juste titre comme le commencement (ou la sortie) du souterrain, ceci justement dans une ancienne demeure chartreuse, au hameau des Pères exactement, l’ancien domaine du Gier. Nous avons pratiquement exclu que les moines puissent avoir été les concepteurs de cette mystérieuse galerie, néanmoins nous pouvons raisonnablement retenir qu’ils ont eu sous leur ‘responsabilité’ cette dernière. Par déduction, il nous faut revenir maintenant à la généreuse bienfaitrice, Béatrix de Roussillon, qui légua les biens et domaines triviens. Elle fonda la Chartreuse de Sainte-Croix à une époque cruciale pour le devenir de la chrétienté. Il serait présomptueux de signaler ici même des données historiques de tout premier plan, sans y ajouter immédiatement que son époux, donna sa vie pour une impérieuse mission qu’il s’efforça de remplir en Terre Sainte justement dans le cadre de ce majeur et irréversible déclin des forces chrétiennes.

Guillaume de Roussillon, seigneur valeureux, fut mandaté lors du concile oecuménique de 1274, réuni par le pape Grégoire X, à Lyon, pour prendre la tête de renforts envoyé combattre les infidèles. Les croisades, au nombre de huit, se sont terminées par la mort du roi Saint-Louis, emporté par la peste, sous les portes de Tunis en 1270. Pourtant, il faudra attendre 1291 et la chute d’Acre, pour voir disparaître à jamais un semblant de puissance croisée en Terre Sainte. Voila très brièvement résumés des faits historiques. D’une manière générale, nous pensons que l’Histoire a oublié un peu trop facilement ce qui a pu se dérouler entre 1270 et 1291. Certes, ce concile oecuménique de 1274, peut être assimilé à une tentative de prêche d’une neuvième croisade, mais qui a avorté, ceci devant le pessimisme ambiant qui régnait dans le camp occidental. La Terre Sainte, ne mobilisait plus, la noblesse n’y croyait plus. Pourtant Guillaume de Roussillon, à la tête de 400 hommes seulement, partira avec les derniers renforts officiels qui y seront envoyés, lors d’une mission presque totalement suicidaire, du moins en apparence. Il sera là-bas un fidèle soutien à l’Ordre du Temple, avec alors à leur tête comme grand maître, Guillaume de Beaujeu. L’union des deux Guillaume est à notre sens capital dans la juste interprétation des données.

Trèves, petite fontaine du villageGuillaume de Beaujeu, ne pouvait être un inconnu pour notre Guillaume local, pour la simple raison que ce dignitaire Templiers appartenait à l’illustre famille de Forez, alors régnante sur notre région et partageant justement son pouvoir avec une seule autre famille, en l’occurrence les Roussillon. Nous pensons clairement que Guillaume de Beaujeu eut son mot à dire auprès du pape dans la ‘nomination’ de Guillaume de Roussillon pour cette opération de la dernière chance. Précisons pour compléter notre propos que durant ce même concile de 1274, le frère cadet de Guillaume, Aymar, sera nommé archevêque de Lyon, alors qu’il n’était auparavant qu’un simple et modeste moine de Cluny. Nous touchons là à une sorte de récompense attribuée aux Roussillon pour leur ferme engagement dans la cause chrétienne alors en déroute sur ses terres de Terre Sainte. Ne nous y trompons pas Guillaume de Roussillon ne s’est pas complètement sacrifié, il avait une chance de revenir. Sa motivation n’était point alimentée non plus par l’espoir de renverser les forces en présence : de ce côté-là il n’y avait plus rien à faire ! Avec ses 300 hommes à pieds et 100 à cheval, il avait tout au plus un ‘mandat’ précis à accomplir, n’ayons pas peur de nos idées : rapatrier des biens et des richesses, tout au moins ceux qui pouvaient encore l’être. Nous situons exactement le rôle et la date de conception du souterrain dans ce cadre précis.

Bien sûr en 1274, Guillaume ne savait pas qu’il disparaîtrait deux ans plus tard pour la cause qu’il a mortellement servie, mais il eut tout le temps nécessaire pour planifier et faire planifier la réalisation de cette énigmatique galerie. Le versant Nord de Trèves était entouré sur des kilomètres à la ronde par des territoires appartenant aux Roussillon ; collines parfaitement et naturellement agencées pour exercer une surveillance de tous les instants. Béatrix de Roussillon dut prendre en apparence des décisions importantes, en fondant notamment la Chartreuse de Sainte-Croix. On sait aujourd’hui avec précision que Guillaume de Beaujeu reviendra précipitamment de Palestine au mois de février 1278, en octobre 1279 et aussi de janvier à avril 1280 et enfin en juin et juillet 1283. La Chartreuse était en train de se mettre en place et avec elle les moyens de sauvegarder intactes des richesses croisées. Nous ne développerons point ici les composantes de ses richesses, n’ayant pas d’éléments suffisamment probants pour s’y risquer. En revanche, nous retiendrons ce contexte suffisamment précis pour penser que le souterrain de Trèves puisse y avoir pris forme.

Contrairement à une idée largement répandue depuis plus de deux cents ans, précisons pour conclure que la Chartreuse de Sainte-Croix n’a pas été construite sur un terrain nu et vierge d’Histoire, mais bien en lieu et place d’une ancienne et mystérieuse forteresse ayant appartenu déjà aux Roussillon où certainement il y avait intérêt à masquer ce très vieux passé. Pour preuve les Chartreux s’efforcèrent pendant leurs 500 années de présence de ‘colporter’ un soi disant songe merveilleux qui aurait guidé la noble dame Béatrix à travers le Jarez pour au final arriver sur un terrain nu ou un homme l’attendait. Ce conte de fées a perduré jusqu’au milieu des années 80, avant que suffisamment de preuves, autant écrites qu’archéologiques, bouleversent enfin la logique pré-établie. Ces mêmes Roussillon que certains historiens locaux considèrent aujourd’hui, ni plus ni moins comme des descendants d’une dynastie sacrée, loin d’être totalement étrangère à l’Affaire de Rennes-le-Château, ceci dans sa théorie mérovingienne, mais c’est un autre sujet, sans lien direct avec la mystérieuse épopée mortelle de Guillaume en Terre Sainte, donc pour le moment nous en resterons là, laissant notamment planer encore certaines zones d’ombre et de doutes sur l’énigme de Trèves et le mystérieux souterrain du Pilat.



Thierry Rollat


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